Whiskey Bar

Le bar était quasi-vide. Je regardais mon verre sans y toucher si ce n’était pour le faire tourner machinalement entre mes paumes. Je relevai la tête, le barman venait d’éteindre le poste qui passait inlassablement le même morceau de ZZTop à longueur d’antenne.
-Vous voulez que je rallume ?
-Non.
C’était maintenant une autre musique tout aussi monocorde, les jets de dés de la table du fond, le grésillement de la lampe, les pales en bois du ventilateur accroché au plafond….Des bruits de pas. Un homme était entré et s’approchait du bar. Je ne le regardais pas, j’avais tout mon temps. Grand, mince, vêtu de noir de pied en cape, les cheveux longs et déliés. Je fis une grimace et me frottai le menton, je ne m’étais pas rasé depuis trois jours. Je regardai mon verre une nouvelle fois sans y trouver plus de consolation que les précédentes, et lassé le vida d’un trait.
-Au moins j’aurais essayé.
Je m’apprêtais à partir et avais déjà remis mon stetson lorsque je me ravisai et sortit de mon imper un bout de papier froissé et un crayon. Je relus ce que j’avais écris. Pas terrible. Je rectifiais deux ou trois choses sans importance et me remit au travail sans grande inspiration. Je venais de me décider de m’en aller, pour de bon cette fois, lorsque l’étranger dont j’avais oublié la présence m’adressa la parole :
-Je vois que vous êtes poète.
-Ecrivain…raté fis-je avec une moue de dérision.
Nous ne sommes sortis du bar que lorsque celui-ci a fermé, tard dans la nuit. Nous n’étions pas frais aussi le grand air et la brise du dehors nous firent du bien, et nous sommes descendus sur la plage à quelques dizaines de mètres de là, les galets sous les pieds, les étoiles au dessus de la tête. Malgré l’obscurité on voyait grâce à une nuance de couleur la ligne d’horizon ou la mer se séparait du ciel ; à droite c’était les montagnes plus sombres qui touchaient presque la pleine lune. Et le ressac bien sur : une ballade. Tout à coup un chant monta des eaux, magnifique, à la fois mince et puissant, dans une langue mystérieuse et pourtant familière comme s’il s’agissait de la mère de toutes les langues. La côte regorgeait de légendes de lutins en tout genres ou de sirènes qui charment les marins. Etait-ce l’une d’elles ? le dernier chant d’une baleine venant s’échouer sur une plage ? le vent qui sifflait contre les falaises et à travers les centaines de grottes qui parsemaient les alentours ? Je m’endormis sans savoir et sans m’en apercevoir. Le lendemain matin à l’aube la mer me réveilla en venant me lécher les pieds. Je me levais, la tête lourde, la nuque raide, je devais avoir trop bu la veille. Je retournais sur mes pas et aperçut le tenancier sur les marches de son établissement, fumant la pipe.
-Avez-vous vu la personne qui est partie avec moi hier soir ? Grand, brun, les cheveux longs, tout en noir.
Il tira une bouffée et me regarda de ses yeux malicieux.
-Vous êtes sur que ça va ?
Je ne répondis pas.
-Croyez-vous aux légendes, jeune homme ?
-Je…je ne sais pas pourquoi ?
-Vous avez la tête de quelqu’un qui a vu un elfe.
Décontenancé je tournai mon regard vers la mer, je ne sus pas quoi lui répondre.