Il introduisit fiévreusement la balle dans le barillet vide de son revolver puis le fit tourner sans regarder. Il avait bien fait de garder cet ancien modèle, on ne pouvait pas jouer à ce jeu là avec les armes modernes. Une chance. Le canon du pistolet lui procura une sensation glacée sur son front brulant. Ce front sous lequel se bousculaient des milliers de questions et d’angoisses et qui allait peut être bientôt exploser. Il resta immobile, un instant qui lui parut une éternité. Il ferma les yeux et son doigt glissa tout seul sur la détente.
*click*
Un emballage de produit alimentaire vide en polystyrène bleu roula, emporté par le vent. Sur un panneau rongé par la rouille on pouvait encore lire le nom attribué à cette zone lorsque la ville avait été placée sous contrôle militaire. C’était bien sur avant qu’elle ne soit désertée. Bizarrement les haut-parleurs qui fonctionnaient crachaient toujours inlassablement le discours anachronique des autorités. « J’aimais tellement Cité 17… » C’en était presque poétique. Tout à coup il y eut un grésillement : «
Tout les premiers-nés devront se faire recenser dans les commissariats pour participer à l’effort de guerre. Ceux qui n’effectueront pas cette démarche
seront condamnés à mort. »
L’accident de la centrale Santorin avait été le point de départ d’une série de catastrophes qui provoquèrent la désolation. Ce jour se transforma en nuit. Il y eut d’épaisses ténèbres. Les cendres toxiques recouvrirent le ciel et l’électricité statique qu’elles engendrèrent
fit tomber la grêle radioactive
sur tout le pays. Toutes les eaux qui sont dans le fleuve se chargèrent en produits industriels qui lui donnèrent sa couleur
sang. L’éclatement des canalisations le dévia vers le centre ville qui fut vite abandonné et transformé en
mer rouge. Tous les troupeaux moururent empoisonnés, et avec la dégradation des conditions d’hygiène,
gens et bêtes furent couverts d’ulcères bourgeonnant en pustules.
Le cataclysme ajouté aux dérèglements climatiques dus à l’activité humaine eut des répercussions sur certaines espèces dont le comportement devint inhabituel. Le rassemblement en très grand nombre de celles-ci pour fuir ou se reproduire en dehors de la période provoqua de véritables désastres.
Les grenouilles montèrent et recouvrirent le pays, les sauterelles couvrirent toute sa surface, des taons en grand nombres y entrèrent et toute la poussière du sol se changea en moustiques. Alors évidemment il n’y avait plus personne pour voir le gigantesque raz-de-marée engloutir la ville et plusieurs kilomètres de côte.
Il reproduisit consciencieusement les gestes déjà plusieurs fois exécutés. Il arma d’une unique balle le revolver et posa le canon sur ses tempes. Elles n’étaient plus trempées de sueur comme les premières fois. Il n’avait plus peur. Depuis le temps qu’il aurait du mourir. De toute façon ça n’avait plus d’importance. Ce fut presque avec détachement qu’il pressa la détente.
*BANG*