D'importuns parasites

Lech Yars s’était levé d’excellente humeur ce matin, et pour cause le projet sur lequel il travaillait depuis si longtemps venait d’être validé par la Commission d’Evaluation des Travaux Publics, ce qui signifiait que son désir le plus cher s’était enfin réalisé. Et pourtant ce n’avait pas été facile. Il est vrai que ce projet de relier les deux plus grandes villes du pays par un gigantesque viaduc qui dépasserait de loin en taille comme en moyens mis en œuvre tout ce qui avait été fait jusqu’ici pouvait paraitre démentiel, et le restait aux yeux de certains. Mais il ne s’était pas découragé et avait du mettre en œuvre tout son talent, son courage et ses relations pour aboutir à ce qu’il soit enfin considéré à sa juste valeur et qu’on débloque les crédits pour sa réalisation. Il ne restait plus qu’à régler un dernier détail : la construction traverserait un parc naturel et ce point avait soulevé une tempête d’indignation chez les écologistes. Pour calmer le jeu le gouvernement avait commandé une enquête auprès d’une société privée afin de vérifier qu’aucune espèce protégée ne serait mise en danger, et s’était engagé dans le cas contraire de ne rien commencer. Mais Yars était convaincu qu’il ne s’agissait que d’une formalité et avait déjà prévenu ses proches de son succès. Il sentait qu’il s’agissait d’un tournant dans sa carrière, déjà tout était différent, son nom et sa photo étaient parus en première page des journaux les plus tirés du pays, certaines de ses anciennes conquêtes l’avaient appelé pour le féliciter et reprendre contact avec lui, ses collègues n’arrivaient plus à cacher leur admiration ou leur envie à son égard et même son chef de service l’avait invité à sa table comme s’il prévoyait une montée en grade prochaine. Aussi il se serait bien passé du coup de fil de sa secrétaire qui lui avait annoncé d’une voix inquiète « qu’il y avait un problème » et « qu’il était souhaitable qu’il vienne en personne » ce qu’il avait aussitôt fait.
Ce n’était pas possible, il devait y avoir une erreur quelque part. Yars relut fiévreusement la feuille que lui avait passée sa secrétaire. Et pourtant impossible de se tromper, c’était écrit noir sur blanc à la dernière ligne : « La construction du viaduc engendrerai inévitablement la destruction et la disparition définitive de cette espèce protégée, et par conséquent doit absolument être annulée ». Yars eu l’impression de lire son propre avis de décès. Le vertige le prit subitement et des sueurs froides lui traversèrent la nuque. Toute une vie gâchée. Pour rien ! Et si…un éclair lui traversa le cerveau. Il referma le poing et entendit le bruit si caractéristique du papier qu’on écrase. Le directeur de cette entreprise était un vieux copain de promotion à qui il avait rendu service par le passé, il ne faisait pas de doute qu’il lui rendrait la pareille s’il le lui demandait. Il ne restait plus que sa secrétaire.
-Quelqu’un d’autre est au courant ?
-Personne Mr Yars.
-Bien, cette lettre n’est jamais arrivée ici.
-Mais Mr Yars…
Il la regarda dans les yeux et lui parla d’un ton menaçant.
-Si qui que ce soit venait à apprendre son existence vous en seriez personnellement tenue pour responsable et je ne peux pas garantir que vous conserverez votre poste.
Elle sembla hésiter un instant puis s’inclina.
-Bien Mr Yars.
Il s’apprêtait à partir lorsqu’une idée le retint.
-Comment s’appelait cette espèce au juste ?
-Ils se nomment eux-mêmes les être humains Mr Yars.
Les tentacules du centaurien comme on appelait ceux issus de la région d’Alpha du Centaure frémirent en une moue de mépris.
-Peuh ! Ridicule. Prévenez le gouverneur galactique que je serais sans doute en retard au diner de ce soir.
-Ce sera fait Mr Yars.
Et Lech Yars s’éloigna dans un bruit de succion typique du déplacement de ses congénères. L’après midi promettait d’être magnifique.