Pom-Pôm Street

Pom-pôm street

Je marche dans la rue, un regard vide posé aux aléas des pavés, pour ne pas croiser celui des passants. Ils sont sales, et suintent d’une humidité malsaine. L’obscurité pleut : des flaques d’ombres se remplissent, chassées par les vitrines éclairées, tournant et roulant sur elles-mêmes. Elles enveloppent les pavés qui deviennent obscurs et incertains. Mon regard fuit alors cette sombre humidité ; les enseignes percent le soir et miroitent incessamment, vagues sucreries qui égarent les esprits…
Zut, j’ai oublié le thé !
Je bifurque devant une large redingote dont les moustaches frémissent d’indignation.
La ruelle est sombre et dans mon imagination malléable se dressent des formes derrière les poubelles, sur le pas des portes. Je me presse, évitant les écueils que forment quelques détritus épars.
Ah, le voila.
Un filet de lumière rampe jusqu’au trottoir d’en face ; les ombres n’en sont que plus sinistres. Je pénètre dans la boutique où s’étalent, comme de larges et difformes araignées, de douteux idéogrammes.
Flûte, c’est le mari.
Je hais son accent incompréhensible et ses mouvements saccadés comme une compagnie de machettes.
Je ressors dans la nuit avec détermination. Le truc jaune pris sur le comptoir est acidulé et vaguement sucrailleux.
Pouah.
Après quelques pas un bruit métallique éveille mes sens, sur la droite ; une vague forme se presse…et jappe.
Un chien.
Un putain de clebs…
Et mon cœur a démarré, métronome susceptible.
Je retrouve enfin l’avenue piétonne, les pavés inégaux, les silhouettes qui plongent et pataugent dans les mares d’obscurités entre chaque vitrine.
La rue descend, je n’en vois pas le bout. Mes yeux se dandinent sur la ligne d’horizon. Je vais…lorsque mon pied quitte la monotonie du pavé rugueux pour adhérer à une substance molle et gluante.
Et merde…
Je continue dans un léger bruit de sucions, qui s’estompe pas à pas.
Soudain un sens que j’avais oublié s’éveille. L’acidulé échappe à mes papilles, l’horizon à mes pupilles ; l’odeur de l’asphalte s’évanouit. Un sourd « pom-pôm » vient cristalliser l’atmosphère. Même le vent me contourne, et son sifflement laisse mes oreilles savourer l’air en toute quiétude.
Mes jambes se déplacent avant même un ordre conscient, alors que retentit plus distinctement le grave rythme d’un cor…d’un tuba plutôt.
Il est là, dans un îlot doré, devant la vitrine du disquaire.
Un homme sans âge souffle irrégulièrement, en tapant du pied, pour se réchauffer.

Les visages qui défilent sont moins crispés, et parfois esquissent un arrêt. Moi je suis stoppé au milieu des pavés, décorés de fresques d’obscurité aux dorures de néons.
Le « pom-pôm » inégal du tuba me réchauffe et je contemple d’un œil nouveau les confiseries clignotantes des boutiques. Je vois enfin le bout de la rue : une petite place où verdissent quelques arbres et s’étale un bout de parking, plongé dans la quiétude nocturne. Quelques réverbères dansent en rythme à la limite de mon chant de vision.
Je fais quelques pas, dévorant de l’œil quelques sucres d’orge. Des feuilles croustillent sous mes pieds qui s’approchent du disquaire.
Le tuba m’accueil avec chaleur sous l’auréole d’or de la devanture. Je me baigne dans ses « pom-pôm » comme un moineau dans une flaque bienvenue. Ma journée se délaye dans la nuit où ne subsiste que la musique du tuba et mon cœur qui pétille.
J’veux être musicien.



[Hors-texte] Voilà, un petit texte qui me plait bien. Il date de quelques mois. Dites moi ce que vous en penser.
Je n'arrive pas à être satisfait de ma poésie en ce moment, faudra patienter un peu.
[hors texte/]