On peut pas tout avoir. Moi j’avais la poisse. C’est déjà ça, la poisse. Ça a son lot de rebondissement.
J’ai travaillé un certains temps pour une compagnie aérienne, le genre de boulot qu’on fait pas longtemps. J’avais juste à m’occuper des passagers qui n’avaient pas leurs bagages à l’arrivée. Et à me faire gueuler dessus, accessoirement.
Ça me permettait de lire tranquillement, entre deux phrases méprisantes d’hommes d’affaires.
C’est dingue comme utiliser du moindre pouvoir, aussi infime soit-il, aussi pathétique et dénué de sens soit-il, peut changer un homme en enculé de première classe. Peut-être certains croient mener un combat, une croisade dont le but serait d’éliminer de la planète ceux qu’ils jugent incapables et incompétents. Et moi j’adorais ça, envoyer chier ces mecs là en gardant mon sang froid. J’aurais pu faire videur de boîte de nuit que ça m’aurait pas dérangé. Taper sur la gueule des ces chiens sans retenue et en toute impunité ça m’aurait excité comme si une jeune poulette de vingt piges m’offrait un verre. Ça payait mal mais au moins j’avais l’espoir qu’un jour un de leurs avions explose. Ça m’aurait bien fait marrer.
Fallait pas être étonné que je déteste les gens. Je sais, c’est pas bien malin, mais j’avais pas le choix. Même si on a toujours le choix quand on écoute son patron. Moi j’avais pas choisi de me faire insulter par ces espèces d’emballages de chair à saucisse et de bière bon marché capables de penser qu’ils sont uniques. C’est le genre de gens qui attendent que tout leur tombe dans la main, sauf les emmerdes. C’est là que j’intervenais. J’étais l’emmerde.
Ce boulot, c’était pas fait pour les nerveux.
Alors quand un de ces mange-merde a osé me gifler, tout ça parce que je lui avais ri au nez, j’ai pas pu m’empêcher de perdre mon boulot. Fallait bien que je lui apprenne que les mecs comme moi, on n’est pas incompétent pour péter des dents. Puis ça a marché, sa bouche a fait comme un bruit de gobelet qu’on écrase dans sa main. C’était vachement drôle de voir le mec hurler en voyant ses dents sur le comptoir. Mais je lui quand même laissé. Je suis pas timbré, je tiens pas à garder mes trophées et les mettre au-dessus de ma cheminée. Déjà, parce que j’ai pas de cheminée, et d’un autre côté j’aurai plus de place chez moi.
Alors du coup j’ai touché le chômage. C’était bien. C’est pas comme ils disent à la télé. On déprime pas. Non, moi je profitais de la vie. J’achetais mon shit toutes les semaines et je le revendais aux gamins qui sortaient du lycée, ces petits fils de pute qui discutent de la litanie marxiste au sortir de la lutte des classes. Ils sont cons ces mioches. Ils font la révolution avec des jeans larges et des bandeaux dans les cheveux, puis à vingt-cinq piges, ils finissent gérant du magasin bis de leur père.
Vous pouvez pas savoir ce que c’est bon de se faire de la tune sur leur dos.
Ven 21 Déc - 19:13
